C'était en 1978.
J'avais rejoint le Jean-Charcot à Djibouti, histoire de vérifier que le tourbillon des "Somalis" était toujours à sa place.
Les pirates n'avaient pas encore repéré ce lieu de villégiature.
Bien sur, chaque fois que l'on rejoignait un de nos navires, nous retrouvions nos collègues marins qui se faisaient alors un plaisir de relater les derniers commérages de l'armement.
Et cette fois là, en fait de commérage ... c'était du corsé !
Le Suroît, un autre de nos navires, travaillait alors en plein Pacifique : les nodules polymétalliques étaient alors à la mode.
Comme à bord tous les navires marchands, la vie est très routinière et monotone.
Le petit déjeuner est servi au carré dès 7 heures ou 7 h 30, de façon à permettre à la relève de prendre son quart à 8 heures.
La table du petit déjeuner était bien sur digne des meilleurs restaurants, et la préparation de ce repas incombait au "garçon d'office", membre du service restauration le moins "spécialisé" - ce qui signifie qu'il ne fallait pas de bien grandes compétences ni recommandations pour se retrouver propulsé à ce poste.
Ce matin là, l'O2 (officier en second) se pointe au carré ni plus tôt, ni plus tard qu'à l'habitude, et stupeur, au lieu de trouver la pièce éclairée, les tables garnies, le café fumant, tout baignait encore dans la pénombre, éclairage de sécurité nocturne ! (le jour se lève tard sous les tropiques !)
Furieux, l'O2 envoie le matelot de garde secouer le commis qui avait oublié de se réveiller à l'heure, mais ... problème ! Personne dans sa bannette, personne à la cuisine, on cherche un peu, on réveille du monde, et on finit par organiser une fouille complète du bord.
Et là, conclusion dramatique, cet homme n'était plus à bord ! Une seule explication possible : il était tombé à l'eau, en pleine nuit, en plein Pacifique !
Fort heureusement, la mer était d'huile et c'était pleine lune. Dans ces conditions, le sillage du navire reste très longtemps visble à la surface de l'eau.
Le Commandant fit alors stopper, mettre les deux embarcations du bord à l'eau : un Zodiac et une vedette hydro, et après avoir fait demi-tour, le navire remonta son sillage à vitesse lente, escorté à bonne distance de ses embarcations de façon à "ratisser" le plus large possible ; le clair de lune facilitait les choses !
Et là, miracle, après une ou deux heures de navigation, un des veilleurs aperçut un tête au ras de l'eau : c'était notre commis qui nageait tranquillement dans le sillage du bateau, en suivant ses lumières !
Devait se sentir un peu seul en voyant le bateau s'éloigner !!!
Explication : à bord, la vie est monotone, les distractions rares, le pastis détaxé, ce qui fait que, de temps à autre, une petite fête était organisée au carré équipage - ça ne se fait plus maintenant, bien sur ! Notre commis s'était donc trouvé légèrement "fatigué" cette nuit là, si bien qu'au réveil, tôt le matin, il était encore confronté à un joli banc de brume. Un besoin aussi pressant que naturel l'amena plage arrière, qui sur nos navires, à l'époque, était très basse, pour permettre facilement les manips de mise à l'eau, et ne comportait pas de rembarde.
Et c'est en s'approchant un peu trop du bord pendant l'opération que notre homme, après une belle glissage, se retrouva vérifier si les requins étaient réveillés !
Bien content d'avoir récupéré sun gus, le Pacha faisait tout de même une sacré tronche - ce qui fait que la carrière maritime du nageur s"est arrêtée là, définitivement !