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Les oubliés de l'Iles Saint Paul
Le carnet oublié
Une île paradisiaque ?
Imaginez !
Saint Paul, à la limite sud de l'Océan Indien, un demi-volcan dont la moitié a disparu suite à un gros tremblement de terre, un cratère de 1000 mètres de diamètre envahi par la mer, rien qu'une mince bande de terre qui soit facilement accessible autour de ce cratère, des sources chaudes (il suffit de creuser un peu pour faire un barbecue), et, comme baignant toutes ces îles volcaniques, des eaux très riches : morues, barracudas, langoustes en très grosses quantités ; et cela se sait : à terre, otaries, pingouins, albatros attirés par ce gigantesque garde-manger ...
Une île comme celles décrites par Stevenson, par Jules Verne.
Mais une île souvent fréquentée depuis le 17ème : beaucoup de naufragés et quelques pirates en embuscade  auxquels s'ajoutent des originaux venus s'installer là dans l'espoir de faire fortune dans le commerce des peaux d'otaries à fourrure. Et ça aurait marché s'il n'y avait pas eu cet océan terrible avec ses tempêtes abominables rendant toute opération de débarquement plus qu' hasardeuse au temps de la marine à voile, s'il n'y avait pas eu cet univers minéral et angoissant .... 
La " mise en valeur ".
Fin du 19ème siècle arrive le temps de la machine à vapeur.
Et le temps de l'exploitation et de la rentabilisation.
Nos îles du bout du monde n'échappent pas à ce courant ; Kerguelen est devenue la base avancée des phoquiers : les frères Bossière, armateurs du Havre, gèrent tout cela et fondent l'établissement "La Langouste Française". Ce projet prévoit l'installation d'une conserverie de queues de langoustes sur St Paul.
Première campagne.
Marcel Gibon, notable de Pont-Aven, devient le sergent recruteur de la famille Bossière, et c'est un groupe d'une trentaine de bretons originaires de Concarneau et de Pont-Aven qui rejoint Le Havre pour appareiller sur l' Austral, vieux vapeur à bout de souffle de 108 mètres de long. Dans notre jargon, une " baille pourrie " !
C'était le 3 septembre 1928.
Le 24 octobre, après une traversée épouvantable, l'Austral mouille devant St Paul; impossible de débarquer compte tenu de l'état de la mer : c'est la zone des "quarantièmes rugissants"; les chaloupes ne seront mises à l'eau que le lendemain.
La conserverie sera installée en un temps record : 29 jours au lieu de 45 ... mais la prime promise par Gibon ne sera pas versée !
Et après la construction des cabanes et de l'usine, la vie s'installe : 
- les uns pêchent pour la boëte (appâts dans les casiers à langoustes),
- les autres mouillent et relèvent les casiers tandis que le reste de la colonie assure le fonctionnement de l'usine : conditionnement
des langoustes, cuisson, mise en boites, sertissage et tout ceci avec des conditions de vie plus que précaires dans cet espace réduit.
La pêche est miraculeuse : vingt mille langoustes par jour !
Mais la vie est dure, la discipline imposée par Gibon est terrible, les punitions pleuvent.
Galériens, forçats, esclaves, Cayenne, Biribi sont les mots que l'on entend le plus !
Et c'est avec un grand soulagement que, début mars 1929, l'Austral, ayant terminé sa campagne phoquière aux Kerguelen, réapparaît
et embarque nos colons !
Curieusement, de retour dans leur province, aucun d'entre eux ne se plaint vraiment des conditions inhumaines endurées sur cette île : probablement une certaine pudeur chez ces hommes rudes à avouer comme ils se sont fait manipuler par les "Bossière" et ce beau parleur de Gibon.
Deuxième campagne.
Mais la vie est aussi très rude en Bretagne à cette époque là, et c'est sans peine que le sieur Gibon recrute un nouveau groupe pour la prochaine campagne : il y a même là quelques familles, femmes et enfants :  les Yan, de Concarneau, les Le Tendre, les Brunou.
Pour cette campagne là, on embarque aussi quatre vingt dix malgaches à l'escale de Fort Dauphin.
Et on atteint St Paul - après une traversée toujours aussi épouvantable !
Et l' Austral appareille pour une nouvelle campagne phoquière aux Kerguelen.
Et la vie reprend,
toujours aussi dure et inhumaine, malgré la présence des femmes de marins qui n'ont pas leur pareil pour organiser la vie à terre.
La production atteint des records : on pêche fréquemment vingt huit mille langoustes par jour !
Gibon décide même d'abandonner la boëte à la morue, qui nécessite la mise à l'eau de doris et la pêche à la ligne – opération longue, pour appâter .... avec les gorfous sauteurs !
Ces charmants petits pingouins qui, au lieu de se dandiner comme leurs cousins royaux, papous, empereurs, sautillent à "pieds joints" pour progresser sur les sentiers qu'ils ont tracés sur les pentes abruptes du volcan sont alors victimes d'un massacre épouvantable.
Les scientifiques s'émeuvent en métropole et demandent l'arrêt de cette tuerie.
En vain !
Mars 1930.
L'Austral a terminé sa campagne aux Kerguelen ; ses soutes sont pleines d'huile de phoques lorsqu'il atteint St Paul pour récupérer les colons à la fin de la campagne d'été.
Mais là, surprise : tous ne quitteront pas l'île ! Le nouveau représentant
des armateurs, Fragon, encore un notable, concarnois, bien connu de
nos bretons, décoré, portant beau, décide que sept personnes
volontaires resteront sur l'île pour assurer le gardiennage pendant
l'hiver austral !
Et les volontaires se désignent, rassurés par la prestance de ce
Fragon et l'assurance de plusieurs visites de navire apportant
vivres et courrier.
Louise Brunou décide aussi de rester en compagnie de son mari.
Louise est enceinte.
Les oubliés.
Et c'est là qu' une série de drames survient :  la radio tombe en panne, Louise perd son nouveau-né le 25 mai et les hommes sont atteints l'un après l'autre par le scorbut : ni fruits ni légumes sur cette île !
Trois hommes meurent, dont le mari de Louise, et un marin se perd en tentant une sortie par gros temps.
Et toujours pas de navire !
Plus que trois survivants dont l'état de santé s'aggrave de jour en jour.
Mais en Bretagne, personne ne s'inquiète, personne ne soupçonne l'épidémie de scorbut … et les armateurs oublient la promesse faite d'organiser un passage régulier de navires dans les parages de St Paul !
C'est finalement le 6 décembre, au bout de neuf mois, qu'un navire apparaît : l' "Ile Saint Paul", affrété par la compagnie … qui amène  la relève de nos colons : une trentaine de bretons et cent malgaches !
                                                                                    
Troisième campagne.
La troisième campagne commence alors dans un enthousiasme qui ne durera pas : quelques mois après le départ du navire, un étrange mal frappe les colons, surtout les malgaches : c'est le beri-béri, mal dû à une carence en vitamine B1.
Le riz constituait la base de nourriture de base des colons – et surtout des malgaches. La variété approvisionnée lors des deux premières campagnes n'était pas décortiquée : l'enveloppe est riche en vitamine B1 et la consommation de riz sous cette forme suffit à préserver le consommateur de la maladie.
Ce n'était pas le cas pour la troisième campagne : la céréale, en provenance d'Indochine était décortiquée !
Plus de vitamine B1 !
Apparition du béri béri, surtout dans la population malgache.
On comptera une trentaine de morts qui seront ensevelis dans le petit cimetière dominant le groupe de cabanes.
L'Austral récupère l'ensemble de la colonie le 8 avril ; mais l'affaire fera grand bruit en métropole ; il y aura procés, jugement … mais que peuvent ces gens simples devant le cynisme de personnages comme  Gibon et Fragon, que peuvent-t'ils devant ces puissants armateurs ?
Le jugement sera mis en délibéré et nos Bretons obtiendront quelques dédommagements que les analystes de l'époque estimèrent dérisoires par rapport aux dommages !
Mais la "Langouste Française" s'estime lésée ! Elle fait appel ! Un semblant de justice survient enfin, le jugement est confirmé, et quelques uns de nos colons obtiennent un complément d'indemnisation – toujours aussi dérisoire d'après les experts de l'époque.
Il y aura une nouvelle tentative d'exploitation en 1938, mais elle avortera tant l'expédition avait été bien préparée …. Mais ceci est une autre histoire !
Gorfou sauteur
Il y a là aussi Maria, cinq ans, la première fille de Louise Brunou qui ignore tout du drame ayant frappé son père !
Et c'est alors que survient l'épisode le plus extraordinaire : Louise, à qui Fragon refuse de rapatrier le corps de son mari, décide de rester sur l'île pour la campagne 1930-1931 ! Louis Herdelan, le second rescapé, impressionné par les cent trente personnes qui débarquent du bateau, reste lui aussi sur  l'île - cela donne à réfléchir sur les conditions de vie qui régnaient alors dans certaines de nos provinces !
Seul Julien Le Hudulut quittera l'île.
  
L'activité pêche a repris ; une socièté a été créée : la "SAPMER" arme un seul navire - l' "Austral"
nouvelle version - qui pêche la langouste à St Paul et Amsterdam ... dans des conditions un peu moins précaires
qu'en 1928 !
Quota : 500 tonnes par an.

Enfin, les amateurs d'aventures ... n'hésitez pas !
Les TAAF "donnent" aussi un peu dans le tourisme !
Regardez là :


Attention ! dans les années 80, la première passagère "payante" a passé plusieurs semaines à la bannette !!
Il faut dire que là bas, la mer ne ressemble pas souvent à celle que l'on trouve le long de nos côtes en été, alors, estomacs délicats, prudence !
Et maintenant ?
L'île est toujours aussi impressionnante et toujours aussi difficile d'accès : sa physionomie change quelquefois à la suite d'une grosse tempête !
Les débarquements en vedette sont rarement possibles tant la houle d'est est souvent très forte. L'hélico nous aide heureusement à maintenir le matériel que nous avons installé là - on mesure des tas de paramètres et on transmet tout ça par Argos.
Les TAAF entretiennent aussi une cabane : couchettes, eau potable, vivres, radio : les naufrages sont toujours possibles dans ces parages !
On trouve encore quelques vestiges rouillés de la conserverie : couvercles de boites de conserve, matériel divers.
Le cimetière est toujours visible.
Les colonies de gorfous et d'otaries se sont reconstituées : pas marrant de se retrouver face à face avec un vieux mâle sur le petit sentier : c'est gros, le sentier est étroit, et ... il est chez lui et vous le fait savoir ; les dents sont impressionnantes et ce bestiau tient plus du lion que du toutou !
Revers de la médaille : le maintien d'un lieu de survie attire aussi les pirates (ça existe toujours !) qui n'hésitent pas à venir se cacher là : à chaque passage, nous prenons quelques précautions avant de débarquer, et, si quelque-chose d'anormal est observé, c'est l'Albatros, patrouilleur de la marine qui règle le problème ; regardez là : 
 
Biblio :
     Les oubliés de l'île Saint Paul ; Daniel Floch ; éditions Ouest France
     Kerguelen ; T I et II ; Amiral de Brossard ; éditions France Empire

On ne trouve plus ces bouquins que chez les bouquinistes.
Austral 1
Austral 2
Marégraphe de St Paul : on l'a installé en 93 et il émet toujours !
1988
Austral 2
1988